par Jean-Marc LEBOUT
♦ Article paru dans le n° 92 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦
Notre sortie de printemps a attiré un nombre de participants important. Même si nous ne visons pas à battre des records, ce fut une réelle satisfaction de vous y accueillir aussi nombreux : plus d’une cinquantaine de personnes ! C’était d’autant plus remarquable que la SNCF nous avait mis de sérieux bâtons dans les roues avec une grève prolongée qui aurait pu hypothéquer la venue de certains. Mais il en faut plus pour vous décourager…
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Première étape de notre périple, l’abbaye de Collonges-au-Mont d’Or. En autocar, nous traversons le vieux Lyon avec les quartiers Saint-Paul, Saint- Georges et Saint-Jean puis, en suivant les bords d’une Saône tranquille et paisible, nous rejoignons ce lieu mythique de la gastronomie et de la musique mécanique. Nous y attendent de nombreux adhérents lyonnais qui, pour rien au monde, n’auraient raté cette occasion, même s’ils connaissent bien l’endroit et l’ont déjà visité. Il nous faut aussi remercier chaleureusement Christian Fournier qui a mis à notre profit ses excellentes relations avec Paul Bocuse et Georges Duboeuf, pour nous ouvrir en grand ce lieu et celui du Hameau du vin que nous visiterons le lendemain. Il nous rappelle que son père, Marc, a aidé à la constitution de ces deux collections, à leur remise en état de fonctionnement et aux aménagements demandés par les propriétaires pour en permettre une audition régulière mais aussi une personnalisation spécifique.
Christian présente l’instrument qui est a plus d’un titre intéressant et curieux. Si l’orgue a actuellement et, depuis +/- 1912, la disposition d’un Limonaire 52 touches à carton soit une gamme classique et bien connue du fabricant, Christian penche pour une reconstruction sur la base d’un ancien orgue Gasparini à cylindre. Est-ce à la demande d’un forain ou à l’initiative de Limonaire lui-même puisque l’orgue porte un numéro de série du type de celui de Limonaire ? Toujours est-il que les flûtes montées dans cet orgue ont une face avant en sapin et non en bois d’aulne ce qui toujours le cas pour les flûtes Limonaire. Celles-ci sont donc de réemploi. Autre curiosité, le jeu de trombone joue en permanence, il n’est pas registré, et le xylophone est à répétition. Cette dernière caractéristique est rare, Christian ne l’a vue que sur deux autres orgues Limonaire, un 56 touches et sur un 66 touches ; elle donne une sonorité un peu plus ‘acide’ à la musique. Un des cartons écouté est un Fox-trot noté par Arthur Prinsen.
Aujourd’hui, il en assure toujours l’entretien et est notre guide tout désigné pour commenter les caractéristiques des instruments, nous les faire jouer et apprécier.
Nous nous arrêtons dans la salle dite du ‘Petit Limonaire’. C’est le premier salon construit par Paul Bocuse, il est attenant aux bâtiments anciens et avant les agrandissements successifs permis ensuite par sa notoriété et les extraordinaires compétences culinaires du maître des lieux.
Sur une table est dressé un buffet de petit déjeuner, ce café et les viennoiseries nous sont destinés… Merci Gérard, nous pourrons dire : ‘Nous avons déjeuné chez Paul Bocuse’
Une tenture obture le passage vers la salle de réception dite du ‘Grand Limonaire’ question de ne pas immédiatement distraire notre attention de l’intérêt de l’orgue du premier salon. C’est donc avec une certaine mise en scène que les pans en sont écartés pour nous laisser pénétrer dans la grande salle avec, face à nous, l’estrade supportant l’orgue Gaudin et dont il occupe toute la longueur et toute la hauteur ! Le spectacle devient total quand Christian le met en marche. La salle lumineuse est décorée de nombreux éléments forains qui ne font que renforcer l’aspect festif du lieu. Cette impression est supportée aussi par les tables dressées qui attendent le banquet prévu en cette journée (pas pour nous…). Cet orgue a une histoire hors du commun. Commandité après la guerre de 14-18 par un négociant, Monsieur Grolière, l’orgue anime les bals du dancing du Breuil près de Thiers jusqu’en 1940. Epoque à laquelle le propriétaire craignant l’invasion allemande fait emmurer l’instrument. Il y reste jusqu’en 1966 !!! Trois personnages de la musique mécanique vont le redécouvrir et réussir à le sauver Marc Fournier, Paul Eynard et Paul Bocuse.
Marc Fournier consacrera quatre années de travail pour ramener l’orgue à la vie. Installé d’abord sur une petite estrade, l’orgue sera ensuite positionné plus en hauteur pour permettre au son de mieux emplir toute la salle et lui donner encore plus de majesté.
Des niches supplémentaires seront construites de manière à lui faire occuper la totalité du pan de mur.
Des automates seront ensuite installés au deuxième niveau. Les jalousies seront retirées. L’orgue joue actuellement toujours les cartons d’origine et un système midi permet d’accroitre le répertoire et facilite aussi le travail du personnel du restaurant.
Paul Eynard fabriquera de nouveaux cartons pour ce splendide instrument.
Composition actuelle de l’orgue : 12 notes de basse avec trombones sur registre, 12 notes d’Accompagnement avec registre forté, 23 notes au Chant avec 11 registres (violon piano, violon forte, flûte zinc, ocarina, clarinette, piston, métallophone, bugara, unda maris, carillon, tremolo et jalousies aujourd’hui supprimées).
20 notes au Contrechant avec 6 registres ( cello, cello grave, flûte naturelle, baryton, violons céleste, bourdons célestes). Percussion complétée avec wood-block et triangle. Chef.
Sur la mezzanine d’une pièce voisine, sont installés un orgue de danse Dussaux 70 T et deux orchestrophones 35 T. Au rez de la même pièce, sont disposés un Jazzbandophone 50T. de Limonaire (#4792) et un rare Albert Lemoine 48 T.
Retour au centre de Lyon pour l’arrêt ‘déjeuner’. Maurice Faire-Pierret nous parle avec passion de sa ville, celle d’hier mais aussi d’aujourd’hui, la colline de Fourvière, celle de la Croix-Rousse, l’opposition entre la colline des prières et celle du travail (les Canus) qui fit la fortune de la ville.
Le relais hertzien dont la forme est une copie du troisième étage de la tour Eiffel.
Les vieux quartiers de la ville qui, inéluctablement, se sont vidés de leurs habitants au profit des banlieues, la mutation économique de ces mêmes quartiers qui ont vu disparaître nombre de petits commerces de proximité au profit de restaurants, d’auberges nécessaires pour sustenter un tourisme grandissant.
Nous l’aurions écouté des heures durant tant il y transmet ce plaisir et cette fierté d’être lyonnais et nous le serions certainement devenu aussi…
En début d’après-midi, le groupe est divisé en deux. A tour de rôle, nous visiterons le musée des Automates et la boutique de Pierre Billon.
Le musée trouve ses origines dans l’activité de fabrication d’automates électromécaniques créée en 1946 par Georges et Augustine Ema. Ceux-ci sont fabriqués à la demande, sont mis en location, égayent des vitrines à travers toute la France.
Ce type d’animation perd malheureusement en popularité et les activités se ralentissent fortement. En 1991, les créateurs décident d’ouvrir un musée et d’organiser les automates en diverses scènes animées avant d’en créer de nouvelles spécifiquement pour leur musée.
Ce revirement a sans doute permis de sauver cet ensemble d’automates qui, s’il n’a pas le charme et la finesse de ses prédécesseurs du XIXe siècle, n’en reste pas moins dans sa continuité d’esprit.
La visite chez Pierre Billon n’était pas à notre programme initial mais l’invitation qu’il nous a aimablement proposée ne pouvait que nous enchanter. Retraité, il a ouvert ce magasin où il peut assouvir son intérêt pour la mécanique et les objets de curiosité qui s’y rapportent. Sont ainsi disposés, dans un local élégamment meublé et décoré, des boites à musique, dont un beau Polyphon à distributeur de jetons, des phonographes parmi lesquels un radiophone de café à monnayeur, une haute horloge de parquet.
Quelques objets de décoration et d’optique tel une lanterne magique, des longues vues complètent cet ensemble. Un beau cabinet de curiosité où nous avons été accueillis avec chaleur et beaucoup de gentillesse.
Nous remontons dans le bus, direction Seyssuel et la Manufacture de Limonaires Marc Fournier. Christian et Gisèle nous y attendent avec patience, vu le retard que nous avons pris sur l’horaire !
Christian débute la visite par une présentation des instruments de sa fabrication. Les orgues à 31 touches, qu’il appelle encore orgue de barbarie, sont ses ‘petits’ modèles. Il a aussi, très tôt avec son père, développé un système de petits orgues ‘électroniques’ dans lesquels le carton commande un système sonore électronique. Il en a fabriqué à peu près cinq cents tout au long de sa carrière.
Les plus gros orgues, à partir de 35 touches prennent le nom de Limonaire Fournier puisque reprenant la gamme du célèbre facteur parisien.
Si Christian a décidé de mettre un terme à la fabrication d’orgues neufs, notre demi-retraité poursuit cependant une activité de restauration ainsi que la fabrication de cartons perforés.
Cela explique la présence pour révision d’un orgue Gasparini, un 52 touches propriété du Musée des Gets qui est venu retrouver le souffle de ses 20 ans. Quel coffre, quelle puissance !
La collection personnelle de Christian recèle quelques beaux instruments dont la pépite est sans hésitation un Limonaire 52 touches de 1924.
Il porte de n° de série 4765. Christian nous apporte l’intéressante déduction qu’il a été amené à faire : en 1903, quand Limonaire abandonne la fabrication d’orgues à cylindre, il débute sa nouvelle production d’orgues à carton en démarrant la numérotation à 3 000.
Christian en déduit que le nombre d’orgues à cylindre fabriqués avait au moins atteint le nombre de 2 000. Limonaire apposait un numéro de série à la vente de l’orgue et non lors de sa mise en chantier.
Lors de nos précédentes sorties, nous avions déjà eu l’occasion d’écouter un piano mécanique Stransky (Musée de Mirecourt), Christian nous propose aujourd’hui un modèle à large bande (33 cm), son piano est aussi équipé de son moteur électrique d’origine qui était réservé aux versions ‘de luxe’ de cet instrument.
Stransky commercialisait à son nom des pianos mécaniques Hupfeld, firme détentrice du brevet. Deux largueurs de bande ont été proposées : celle de 33 cm qui actionne 81griffes (76 notes + 5 pour les nuances) et celle de 25 cm qui actionne 60 griffes seulement.
Le fonctionnement du piano était toujours manuel (avec une manivelle) mais pouvait être complété par d’un moteur. Un moteur à air chaud puis un moteur électrique quand l’électricité s’est généralisée. A noter qu’un modèle de piano à queue avec le système de lecture des bandes a été aussi commercialisé par Hupfeld.
Je ne sais pas si Stransky l’a proposé à sa clientèle, je n’en connais aucun exemplaire.
Le Pneuma Piano Xylophone présenté est à l’origine un Kuhl &t Klatt rebaptisé par le revendeur.
Le Limonaire nous déroule ses cartons et égrène des airs d’antan : L’ascenseur, Le siffleur et son chien, etc…tout cela en prenant le verre de l’amitié. Que de plaisirs partagés !
Retour à l’hôtel où nous attend de quoi nous restaurer mais c’est surtout l’animation d’après repas qui restera dans nos mémoires. Un ‘Cautinophone’, un répertoire de chansons, les feuillets de paroles, il n’en faut pas plus pour notre bonheur et mettre l’ambiance dans la salle.
Dimanche matin, départ pour Romanèche-Thorins et le Hameau du vin.
Le Beaujolais, certains connaissent déjà bien cette région pour fréquenter régulièrement le festival d’orgues de barbarie qui se tient à Oingt début septembre et qui se trouve à quelques kilomètres d’ici.
Ce Hameau du Vin voit le jour en 1993 de la volonté de Georges Duboeuf, négociant en vins, désireux d’organiser autour de ses caves un centre d’attraction, de communication, de culture et bien sûr de dégustation. Ce concept global est regroupé en un même lieu de 10 000 mètres carrés où les activités vinicoles, culturelles et récréatives s’interpénètrent harmonieusement. Elles ne sont pas cloisonnées, l’histoire du vin et sa production actuelle ne sont qu’une seule et même histoire.
Cette histoire est abordée sous des aspects scientifiques et pédagogiques ; explication des terroirs, chimie et processus de la vinification…mais aussi au travers d’une importante collection d’objets aratoires ou utilisés dans les différentes phases d’élaboration du vin. La scénographie de ce musée est attrayante, les éclairages sont étudiés, les panneaux explicatifs intéressants, on est à cent lieues des petits musées de la vie rurale un peu tristounet.
Le ludique est bien présent aussi sous la forme, entre autre, d’une animation IMAX qui nous fait prendre la place d’une petite abeille qui butine et voltige d’un village du Beaujolais à l’autre, d’un terroir à un autre. Balloté dans une nacelle, le groupe ne peut s’empêcher d’avoir une impression de parc d’attraction. C’est très hollywoodien, donc efficace et aussi très plaisant.
De temps à autre une baie vitrée nous ramène dans la réalité avec une vue sur le chai ou sur les entrepôts voûtés où s’alignent les barriques.
La fin de ce périple vinicole débouche dans une vaste salle qui nous ramène dans une ambiance de gare identique à celle créée à la billetterie de l’entrée. D’un côté, dans un esprit brasserie, les voyageurs peuvent se restaurer ; de l’autre, la piste de danse invite à l’amusement. Un long bar fait le lien entre les deux espaces. Mais c’est la scène qui attire immédiatement notre attention avec son splendide Gavioli 87 touches. Il va emplir de sa toute sa puissance le lieu et y apporte une majesté incomparable. C’est au son de l’instrument que nous sommes invités à une dégustation apéritive de Beaujolais et qu’ensuite nous sommes conviés à manger. Une très belle façade d’un orgue Gaudin a été utilisée pour présenter la production et les diverses appellations de la maison Duboeuf.
Nous faisons ensuite une balade digestive dans le jardin des senteurs aménagé dans les vignes, puis les amateurs de bonnes bouteilles regarnissent leur cave à vin…
La journée s’est passée sans que nous nous en apercevions ! C’est déjà fini !
Mais nous avons déjà d’autres projets, Gérard et Georgette y veillent.
Alors, tous présents en octobre à Lille ?