(par Jean Nimal)
♦ Article paru dans le n° 124 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦
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Au moment où les organettes apparaissent (autour des années 1870) on observe un foisonnement de modèles de conceptions légèrement différentes. Chacun veut faire mieux ou moins cher ou contourner les brevets existants ou même simplement créer de la nouveauté. Le marché est vaste et les techniques de fabrication de masse se mettent au point.
Mais, qu’elles soient allemandes, anglaises, américaines ou françaises ces organettes ont en commun de produire une musique automatisée et d’utiliser des anches métalliques libres. Ce sont des instruments musicaux nouveaux qui apparaissent et qui permettent de reproduire la musique sans aucune connaissance musicale.
La plupart du temps, les organettes sont pourvues d’une manivelle permettant de produire à la fois l’air nécessaire à la mise en vibration des anches et à l’avancée de la programmation musicale (disques à perforations ou projections, bandes de carton, de papier ou de métal, cylindre de bois etc..).
Dans ce petit monde des organettes, les accordéons automatiques semblent occuper une place un peu à part. Ce ne sont pas de nouveaux instruments, créés de toutes pièces comme le sont les organettes mais ils sont l’adaptation d’un instrument préexistant.
Ici, pas de manivelle puisque les bras ne sont plus disponibles et que l’on souhaite avant tout tromper l’auditoire en faisant croire que l’on joue vraiment de l’accordéon…
Les hommes se sont ingéniés à trouver des solutions pour l’automatiser.
Dans le numéro 100 de Musiques Mécaniques Vivantes je vous avais proposé une description de quelques accordéons automatiques. La famille des accordéons et bandonéons automatiques est en fait un peu plus large et je voudrais vous présenter aujourd’hui quelques instruments supplémentaires que je ne connaissais pas à l’époque:
- le TANZBAR CONCERTINA
- le SONATINA 24 notes
- le BANDONIPHON
- le BANDONEON AMORETTE
- l’AUTOPHONE
Afin de conserver une homogénéité et un intérêt global et permanent à cet article-ci, je me permets de résumer les caractéristiques principales de chacun des instruments déjà décrits dans MMV 100, à savoir l’accordéon Magic Organa Hohner, le Concertion, l’Euphonica, l’Harmonica Simplex et le Sonatina 16 notes.
Je n’avais pas non plus parlé des accordéons Tanzbar car le n° 99 de MMV avait repris le très riche article de Uwe Gernert sur ces accordéons Tanzbar. Nous avons appris le décès d’Uwe Gernert cet été. Soulignons qu’il était un vrai passionné des accordéons (ils ne sont pas si nombreux!) et une figure dans le monde de la musique mécanique. A ma connaissance, personne n’a jamais traité des accordéons Tanzbar d’une façon plus complète qu’il ne l’a faite.
LE TANZBAR
Fabriqué par Anton Zuleger entre 1905 et 1930, il a connu plusieurs versions : un 16 notes, un 28 et même un rare 40 notes et cela dans des présentations différentes : bandonéon cubique en 16 ou 28 notes et en 28 notes accordéon de forme classique, mais aussi en concertina en forme de prisme hexagonal en 16 notes.
Les accordéons Tanzbar utilisent des bandes de carton enroulées perforées ; ce qui permet ainsi de jouer des morceaux bien sûr plus longs que les bandonéons à disques qui suivent. L’entraînement du rouleau se fait par un moteur à inertie avec volant dont la rotation est entretenue à main droite par un levier.
LE CONCERTINA TANZBAR
Il est présenté dans le Bowers sous cette forme de prisme hexagonal. Compte tenu de sa petite taille, il est équipé d’une mécanique pour 16 notes et il a fallu donner aux rouleaux une forme particulière sans flancs. Leur axe comporte un ergot pour permettre l’entraînement.
Il est de belle facture et comporte une platine en aluminium avec des pastilles incrustées en laiton au niveau des taraudages pour assurer une meilleure pérennité des pas de vis.
Il faut reconnaître que cette petite taille rend son jeu assez difficile et qu’un réel entraînement est indispensable.
Concernant les accordéons Tanzbar que l’on est susceptible de rencontrer relativement facilement je me permets quelques conseils :
- gardez précieusement les rouleaux originaux dont vous disposez et ne faites surtout pas vos réglages avec ces rouleaux, vous risqueriez de les endommager rapidement sans espoir de réparation …Faites vos essais sur des cartons” martyrs” ou des copies. Reportez-vous à l’article de Uwe Gernert pour les réglages qui doivent être rigoureux, note par note.
- évitez de laisser le rouleau engagé dans l’instrument sous pression de la barre à touches de façon permanente; le risque serait grand de voir apparaître des fuites sonores au niveau des soupapes; il faudrait alors resserrer ces soupapes, augmentant ainsi la traction nécessaire à l’avancée du rouleau et donc favorisant d’éventuelles déchirures.
Personnellement, je ne connais qu’un seul fournisseur de rouleaux possible pour les Tanzbars actuellement : le site américain “The pipes of Pan” qui vous procurera des rouleaux en 16 et 28 notes.
LE MAGIC ORGANA HOHNER
Il a été conçu par René Seybold et breveté en 1929. La firme Hohner de Trossingen l’a fabriqué.
Il domine sans conteste le petit monde des accordéons automatiques mécaniques.
- il est un exploit technique pour sa lecture
pneumatique des 43 notes dans un volume aussi
réduit. - il est très tardif et arrive en 1930, 30 ans après ses
petits concurrents. - il peut jouer des morceaux de 4′ à 5′.
- il est chromatique sur plus de 3 octaves (plus de 40 notes). Il peut donc tout jouer et il le fait bien car les rouleaux fournis sont toujours très bien notés.
- il a un riche répertoire à hauteur de son intérêt musical.
- il est un peu compliqué, bien sûr, car il utilise 3 sources d’énergie pour son fonctionnement; les bras pour les soufflets, une aspiration pour l’automatisme de la lecture pneumatique (aspiration par moteur-pédale ou tabouret électrique) et enfin un moteur à ressort puissant pour la rotation du rouleau de papier perforé…
- il offre la possibilité d’adjoindre un bloc de 3 percussions commandées par l’accordéon : grosse caisse, caisse claire et cymbale. (se reporter à MMV n° 100 pour des détails sur son fonctionnement, sa maintenance ou restauration). Cet instrument est tout à fait digne d’intérêt pour la qualité de son jeu.
Remercions au passage notre ami Gérard Boquié qui a fait récemment un travail considérable pour répertorier les titres des rouleaux perforés destinés à cet instrument…. L’AAIMM pourra maintenant aider les possesseurs du Magic Organa à retrouver les titres des morceaux aux étiquettes perdues. Ce travail confirme l’importance de ce répertoire.
LE CONCERTION
Il est visible au Musée de Seeven en Suisse. Il possède 25 notes et utilise un cylindre de bois pointé. Il est très proche au point de vue conception des petits orgues “bec de canard” de Forêt Noire. Un large volant à inertie en fonte assure une rotation régulière, entretenue par un levier. Il s’agit peut-être d’une pièce unique.
L’HARMONIKA SIMPLEX
Il utilise des disques dentés en zinc de 20 cm de diamètre et possède 18 touches. Sa particularité est de ne pas posséder de moteur et qu’il fonctionne uniquement à la rotation de l’index de la main droite! Il mérite bien son nom de Simplex!
L’EUPHONICA
Il s’agit d’un instrument à disques d’acier de 19 cm de diamètre utilisant un moteur à ressort que l’on remonte par une tirette avant de jouer. Il est très élaboré et de très bonne qualité de fabrication, sans doute car il est le premier accordéon à disques fabriqué. Il joue sur 16 notes. La durée de révolution est d’un peu plus de 60”.
LE SONATINA 16 notes
Il s’agit également d’un instrument à disques de zinc en 16 notes. De tous les instruments présentés ici, c’est l’instrument le plus facile à jouer car ce sont les allers et retours des flancs, reliés entre eux intérieurement par un parallélogramme déformable, qui remontent un moteur à ressort utilisant une roue à rochet. C’est un système très ingénieux, efficace et discret.
LE SONATINA 24 notes
Il est beaucoup plus volumineux que le Sonatina 16 touches. Le mécanisme d’entraînement du disque (25 cm) est le même avec remontage automatique pendant le jeu de l’accordéon grâce à la roue à rochet actionnée par les mouvements d’allers et retours de l’accordéon.
Il est pourvu d’un bouton de déclenchement de début de jeu et s’arrête automatiquement à la fin du morceau. Je n’avais pas décrit cet instrument dans MMV 100. Découvert sans disque, il a fallu confectionner quelques disques de la façon décrite ci-après.
LE BANDONIPHON
Cet instrument est signalé sous forme de publicité dans l’Encyclopédia of automatic musical instruments de David Bowers. La qualité de fabrication est assez sommaire et “à l’économie”. Il coûtait 40 DM (1900- 1910). Par comparaison, un Ariston de milieu de gamme coûtait 45DM et un Ariosa avec doubles anches 35DM. Il utilise des disques de zinc de 18,5cm de diamètre et joue sur 16 notes. Il est muni d’une commande marche-arrêt. La révolution du disque est très brève, environ 30”, mais bien sûr, pour tous les accordéons à disques, le but est de jouer la mélodie en boucle.
Il faut actionner un levier à main droite pour remonter un ressort avant de jouer. On démarre donc le jeu sans actionner le levier de remontage; ce qui est préférable pour conserver l’illusion du jeu véritable, puis il faut entretenir de temps en temps la rotation du disque lorsque celle-ci faiblit. L’énergie produite est emmagasinée dans un ressort et il n’y a pas de volant d’inertie comme pour le Tanzbar. En revanche ce bandonéon a une forte puissance sonore et assez peu de “bruits” du mécanisme de lecture du disque.
L’AUTOPHONE
Par jeu, j’ai envie d’ajouter à ces instruments l’autophone de production américaine qui apparaît en 1878 et qui est présenté classiquement comme une organette, mais répond parfaitement à la définition de l’accordéon avec son soufflet manipulé et l’usage des anches. Il possède 22 notes. La musique est notée sur des bandes de carton très souple. Le système de l’avance du carton est très original ; une roue à rochet est activée par un levier couplé au soufflet. L’avance se fait par saccades correspondant au rythme de la musique. On ne peut imaginer plus simple. L’air produit par le soufflet traverse le soufflet régulateur de pression et alimente directement les anches au travers des trous de la bande perforée, comme la plupart des organettes américaines et anglaises.
Une piste latérale sélectionne une avancée à l’aller ou à l’aller et retour du soufflet permettant ainsi de tenir une note sans avancée du carton et donc d’«économiser »du carton.
La guerre 14-18 et la venue du phonographe ont eu raison de la brève existence de ces petits accordéons automatiques à disques. Leur fragilité les a souvent voués à la casse….C’est bien dommage car leur pratique est bien sympathique.
Les amateurs trouveront plus facilement les Tanzbars car ils ont été fabriqués en grand nombre et assez longtemps ainsi que le Magic Organa Hohner dont la complexité a forcé le respect et qui auront été souvent conservés par les familles (dans les greniers), lorsqu’ils auront pu réchapper à la guerre 39-45.
LE BANDONEON AMORETTE
Dans l’article 100 de MMV j’avais signalé avoir, sans trop de certitude, rencontré, il y a très longtemps, un bandonéon dont la rotation du disque était assurée uniquement par les doigts, directement sur l’axe de ce disque. Je suis parvenu à l’identifier… Ce bandonéon est décrit dans le complément de l’ouvrage “the Organette Book” de Kevin A. McElhone dont sont extraites, avec l’accord de l’auteur, ces quelques photos. Il possède 16 notes. On aimerait beaucoup le voir fonctionner. Gageons qu’il ne doit pas être facile de réaliser une rotation lente et régulière simplement avec les doigts! Notons au passage que « The organette Book » de Kevin est incontournable pour qui s’intéresse aux organettes et que son 2ème ouvrage « Supplement to the organette book » est très riche en photographies de rares organettes. Il est disponible sur le site de l’association anglaise Musical Box Society of Great Britain.
Fabrication de disques pour accordéons (ou organettes)
Espérer trouver des disques pour un accordéon qui n’en possède pas est un tantinet optimiste voire …utopiste ! Mais je ne dissuaderai personne de tenter la quête car il m’est arrivé de trouver des disques pour bandonéon Sonatina 20 ans après avoir fait l’acquisition de l’instrument…! Néanmoins, je n’avais pas résisté à l’envie de l’entendre chanter et je lui avais donc déjà fabriqué 2 disques en laiton par une méthode un peu fastidieuse que je décrirai plus loin….
La rareté de ces disques a une explication… Tous ces petits bandonéons arrivent en même temps sur le marché début XXème siècle et les fabricants n’ont, bien entendu, aucun souci de compatibilité des disques. Tout s’arrête avec la guerre 14-18….quand les sociétés ne font pas faillite avant. Ainsi, le bandonéon Sonatina est créé par Rudolph Wünsch à Leipzig en 1896…. Sa société fait faillite en 1899, trois ans plus tard, trois ans c’est peu pour réussir une diffusion. La liste des titres disponibles a dû être très réduite et donc la probabilité pour trouver des disques reste très mince.
Voici pourquoi je vous propose une solution pour les fabriquer vous-mêmes. Cette méthode est bien sûr tout à fait utilisable pour des disques de toute organette « à projections” et notes tenues. Classiquement ces projections sont réalisées par embossage d’un disque de zinc. Réaliser un banc pour embossage est toujours possible, mais cette solution est un peu « lourde”. J’ai préféré réaliser des “projections” rapportées et soudées sur un disque en laiton.
J’ai réalisé deux disques une première fois, pour un Sonatina 16 notes. J’ai dû recopier deux mélodies d’un Ariosa (sur un disque en laiton de 18,5 cm). L’Ariosa possédait la même gamme à une note près…. Il faut d’abord choisir la bonne mélodie (pas trop dense en notes, surtout près du centre du disque). Un banc de copie par transparence est réalisé permettant de recopier les secteurs d’angles sur papier calque. Une réglette fixée sur l’axe permet de tracer les rayons.
La mélodie est recopiée sur le disque, marquée au feutre par secteurs d’angles. Le papier calque est ensuite collé sur un disque en laiton vierge (0,6mm) avec une colle sans eau qui détendrait le papier (colle en bombe pour repositionnement de documents). Il suffit ensuite de marquer les repérages de notes sur le laiton au travers du papier avec une petite Dremel. Le papier est retiré et les plots peuvent être soudés à l’étain sur ces emplacements marqués (utiliser un pinceau fin et de la pâte à étamer).
On préparera des segments de notes avec du fil laiton de 1,6mm de section. Ils sont préparés grâce à un banc de coupe de réalisation “minute”.
Ces plots sont ajustés, puis la pâte à étamer est déposée au pinceau et les plots placés. La soudure se fait par chauffage sous le disque au petit chalumeau. On chauffera avec délicatesse pour obtenir d’abord le séchage peu violent de la pâte et éviter ainsi la vaporisation qui risquerait de déplacer les plots. Il faut procéder par série de 15 à 20 plots. Ce travail peut paraitre assez fastidieux certes, mais valait la peine car, à nouveau, l’instrument chantait…
Très récemment et donc plus de 20 ans plus tard, j’ai eu l’occasion de découvrir un Sonatina de 24 touches, à nouveau sans disques. Je me décidai donc à répéter l’opération pour un disque de 25 cm et 24 notes….
Mais, cette fois, la technologie avait évolué. Les choses allèrent beaucoup plus vite grâce à la complicité de Gérard Dabonot (“le Turlutain”, le turlutain@ozone.net) qui a bien voulu se pencher sur ce problème, et qui s’est pris au jeu.
Après avoir relevé la gamme de l’instrument note par note qui, par le plus grand des hasards, s’est avérée être exactement celle de l’Ariston, j’ai confié le problème à Gérard. Gérard m’a proposé de réaliser un disque carton au diamètre du disque souhaité et aux perforations musicales qui correspondraient à la position des projections du disque. Il a utilisé une mélodie de ses compilations mémorisées, perforé le disque carton au laser. Pour relever les positions exactes des touches il a suffi de réaliser un disque en plastique transparent test et de les marquer sur le disque par transparence.
Il faut aussi préparer un disque de laiton de 0,6mm d’épaisseur avec les trous d’axe central et d’entraînement, ainsi que celui qui commande l’arrêt du morceau.
Une fois en possession du disque en carton il suffit de solidariser provisoirement les disques de laiton et de carton et de remplir les logements du carton avec les segments de fil laiton après dépose au pinceau de la pâte à étamer comme précédemment. Vient la soudure et c’est terminé…Le carton ne craint pas la chaleur car il sert à la confection d’isolant pour transformateur électrique. Merci Monsieur Dabonot
Vous pouvez écouter quelques-uns de ces accordéons sur le site de l’AAIMM.
Ps : vous souhaitez avoir d’autres informations ou peut être en donner…. N’hésitez pas, contactez moi : nimal.jean@orange.fr
Crédit photo : J. Nimal sauf mention contraire