par Philippe BEAU
♦ Article paru dans le n° 90 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦
Pardonnez-moi de transformer cette célèbre maxime, mais c’était trop tentant. Vous l’avez déjà compris, si je prends à nouveau la plume dans notre revue, c’est que Marcel Mino vient de trouver un nouveau piano automatique…
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Pour celui-ci, je dois vous avouer être quelque peu « responsable » de son acquisition.
En effet, je reçois un beau jour un appel d’un Monsieur me demandant si j’étais toujours intéressé par l’achat de pianos mécaniques. Je ne sais plus comment il avait eu mes coordonnées mais bref, il « sonnait bien à la bonne porte ». Je le presse de questions sur l’instrument, sa marque, son état, son aspect et ses origines. C’est par son histoire, qu’il me livre partiellement, que je suis alors séduit en premier lieu. Car n’oublions pas, un piano ça possède un vécu, et, lorsque l’on peut connaître son passé ou du moins quelques bribes et anecdotes sur ce passé, cela ajoute un côté magique et stimulant à son éventuel futur achat. Aussitôt je m’empresse d’alerter mon ami Marcel, le vrai spécialiste à mon avis et à celui de beaucoup d’autres, de ces belles mécaniques sur le secteur du grand Rhône-Alpes. Car pour un piano mécanique ou automatique, il ne suffit pas simplement d’un bon coup de cire sur la caisse et de quelques coups de clef d’accord sur les chevilles pour prétendre à une véritable rénovation. Certains en sont restés à ce stade, mais, lorsqu’ils acquièrent un piano automatique dont le moteur a été « massacré », le ressort spiral cassé ou autres manques, c’est vers Marcel qu’ils se tournent alors pour lui faire remettre le tout en état. Il faut une réelle connaissance technique qui ne s’obtient qu’avec le temps, le goût du travail bien fait et de la patience. C’est à ce « prix » et seulement à ce « prix » qu’on devient véritablement « Roi du piano »…
Jour « J »
Rendez-vous pris avec notre propriétaire du piano, nous voilà Marcel et moi en partance pour la région grenobloise. Notre hôte nous accueille avec un large sourire et, devant une tasse de café, commence à nous dévoiler l’histoire de son piano.
« Vous le verrez après le piano, tout d’abord il faut que vous sachiez d’où il vient… »
Bien sûr que nous vous écoutons cher Monsieur, me dis-je au fond de moi.
» Voyez-vous, enchaînet- il, dans les années 1920/ 1930, la route nationale qui conduisait de Grenoble à Lyon, traversait la grande rue de Saint-Robert, commune de Saint-Egrève (38). Nombreux étaient les commerces de tous genres dont évidemment les cafés, hauts lieux de rencontre et de distraction à l’époque. Mes parents, Jeanne et Noël, géraient l’un d’entre eux. La journée, les passants s’arrêtaient pour prendre un verre, c’était le temps où les hommes trinquaient gaiement autour d’un « rouge local ». Mais, il y avait surtout les réunions animées des différentes associations, soit musicales avec la fanfare, soit électorales… Durant ces années là, le Front Populaire agitait beaucoup les esprits. Certains dimanches ou jours de fête, le café était réservé pour accueillir les convives qui participaient « au banquet »… Un festin pantagruélique, bien arrosé de vin blanc, vin rouge, mousseux, café et pousse-café ! C’était la fête avec un grand F ! Ensuite tout le monde passait dans la salle où trônait, sur son estrade, LE piano mécanique. Le « musicien de l’instant » remontait la mécanique, choisissait un air et, en glissant une pièce de monnaie dans l’appareil, déclenchait la musique du piano et de son accompagnement. Puis, les couples de danseurs s’élançaient sur la piste, on riait beaucoup et la soirée se prolongeait fort tard car on repassait plusieurs fois les dix morceaux de danse immortalisés sur le gros cylindre de bois. A partir des années 40, période difficile, les repas de fête ont diminué pour finalement s’arrêter. Le piano mécanique est resté muet sur son estrade… Après l’avoir recouvert, protégé au mieux, il a franchi toutes ces années en attendant que l’on veuille bien s’occuper de lui. Le dernier café de la rue de Saint-Robert existe toujours, mais il n’y a plus de salle de danse, ni… de piano mécanique…
Autre temps, autre mode !
Marcel et moi, nous n’avons dit mot durant cet exposé, nous restons cois à tel point que je serre les dents pour ne pas laisser paraître mon émotion. Afin de réagir gaiement, je propose d’aller voir LE fameux piano. Précédé par notre hôte, nous découvrons en sous-sol un bel instrument à la forme d’armoire et non de piano droit, qui atteste de sa fabrication tardive des années 1920-1925. Il est en effet de bonne conservation avec quand même une base à rénover et bien sûr l’obligatoire changement des cordes et chevilles. La caisse est de taille moyenne, 93 cm de largeur, 180 cm de haut pour une profondeur de 62 cm.
Son panneau de façade divisé en trois parties, est toujours orné de sa peinture d’origine qui représente comme très souvent un paysage marin. Une fois ouvert on découvre qu’il est pourvu d’un cadre métallique, que sa partie piano est composée de 36 marteaux, plus
De toute façon, même si je m’étais rendu acquéreur de l’instrument, il serait passé obligatoirement par la case « atelier Mino » !
« Un enfant » de plus dans la famille
Dieu qu’il est beau ce piano… Lorsque je le contemple aujourd’hui parmi ses « frères » au sous-sol de chez Marcel, j’ai l’impression qu’il nous dit merci !
Merci de m’avoir redonné une nouvelle jeunesse et de me permettre à nouveau de « chanter » et d’enchanter un public. Fièrement couronné de son nouveau fronton « fabrication Mino » cela va sans dire, l’original ayant disparu, il affiche comme à sa création son nom évocateur des années 20 « Little Jazz-Band ». Une pièce roule dans le monnayeur, « Ça c’est Paris » claironne alors à tue-tête dans l’atelier de Marcel. Comme deux enfants devant leur jouet de Noël, nous rions aux éclats de cette nouvelle et belle aventure. Remerciant le hasard de cette belle rencontre inattendue, nous ponctuons en coeur la fin du morceau de musique par notre célèbre phrase… « Encore un de sauvé ! »