par Jean-Marc LEBOUT
♦ Article paru dans le n° 98 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦
Voir et entendre ce cartel automate de Baptiste Antoine Brémond
L’évolution de la facture de la boîte à musique n’a apporté que progressivement des ajouts musicaux, ce que nous appelons les accompagnements. Ils se feront au départ sous la forme d’un tambour et/ou de timbres cachés sous la platine et qui deviendront ensuite apparents à l’arrière de celle-ci. Des castagnettes et des voix célestes viendront compléter la variété musicale avec plus ou moins de bonheur.
Si la notation sur le cylindre tient compte de la présence des accompagnements et si un ajustement précis du jeu de tous les éléments de l’orchestre est réalisé alors une bonne balance sonore peut être obtenue et le résultat final rester très musical.
Les accompagnements sont joués à partir de picots disposés sur le cylindre et une lame non musicale du clavier sert à la transmission de l’information pour qu’un marteau vienne frapper un timbre, un tambour ou les castagnettes. Par marteau disponible, il faut donc une ligne de picots sur le cylindre.
La présence d’un automate, participant directement au jeu musical, est restée fort rare dans l’histoire de la boîte à musique. Il n’actionne pas les lames du clavier mais participe au jeu d’accompagnement, dans la majorité des cas, les timbres. Son fonctionnement est programmé sur le cylindre et donc l’automate est un élément intermédiaire, une complication mécanique supplémentaire mais non indispensable à l’exécution de la programmation musicale pointée sur le cylindre.
Je souhaite apporter deux précisions importantes :
dans le cas de la boîte à musique en général et certainement pour le cartel que je vais décrire ici, on est très éloigné de la notion du personnage-automate qui joue d’un instrument de musique non mécanique comme la ‘Joueuse d’orgue’ de Jaquet-Droz du Musée de Neuchâtel ou la ‘Joueuse de tympanon’ de Kinzing-Roentgen du Musée des Arts et Métiers de Paris. Dans ces deux cas, c’est un mécanisme incorporé dans le corps du personnage, et qui est donc totalement distinct de l’instrument de musique, qui produit l’air : en actionnant les dix doigts de l’automate de Jaquet-Droz ou les deux baguettes tenues par l’automate de Kinzing.
je ne considère pas les petites poupées danseuses rencontrées fréquemment dans les boîtes de gare ni les grands automates parisiens ou un carrousel égayant un cartel comme des automates musicaux mais, placés-là, uniquement comme une simple animation visuelle. De même, les cartels à timbres visibles frappés par des personnages fixes dont seuls les bras bougent ne peuvent être considérés comme un automate dont la définition, généralement admise, sous-entend d’effectuer au moins quatre mouvements.
Description générale
1 Le boîtier
La boîte à musique a une présentation tout à fait inhabituelle. Elle est insérée dans un joli coffret (à bijoux ?) aux pans concaves décorés d’une ligne de feuillage en creux à l’avant et en haut relief à l’arrière. La base et le couvercle sont ceints d’une guirlande de perles sculptées. Le panneau intérieur du couvercle a été enlevé pour n’en garder que le cadre permettant l’émergence de l’automate. Ce cadre est vissé au corps du boitier et deux éléments décoratifs rapportés enserrent l’automate pour refermer l’ouverture. Le cartel n’est donc pas du tout visible. Cette curieuse présentation place cet objet à mi-chemin entre la boîte à musique et le bel objet de décoration. A noter que les charnières originales du couvercle et la serrure du coffret ont été conservées et, même si devenues inutiles, le boîtier pourrait reprendre son usage initial.
2 Le cartel
Le cartel a un répertoire de 4 airs pointés sur un cylindre de 11,7 cm de long et d’un diamètre de 5 cm. Il porte le sigle BAB sur le sommet de la potence. L’attribution à Baptiste-Antoine Brémond est donc plus que vraisemblable. Elle est renforcée par la subsistance d’un coin de carte des airs, miraculeusement conservé, qui ramène aussi à ce fabricant. La partie musicale est formée de deux claviers de 27 lames chacun, formant une gamme simple. La platine est en fonte de fer rainurée et dorée. Elle est vissée sur deux blochets de bois qui sont en contact avec la planchette du fond de la boîte. Le numéro de série #10146 est inscrit sur la roue de cylindre. Le remontage est à clé, il s’explique par l’emboitage particulier et l’exiguïté du boitier qui ne permet pas le placement d’un levier. Même si les ponts du barillet sont encore vissés par le dessous, il n’y a déjà plus d’arrêt instantané. Ce cartel, que je peux dater vers 1868 – 1869, est à la charnière entre les 3e et 4e époques.
3 L’automate
Il surmonte le cartel et repose sur une plaque en laiton de 15 cm sur 9 cm. L’automate est disposé sur le dessus de la plaque et toute la tringlerie est fixée dessous. Un numéro 3113 est visible sur la face supérieure de la plaque. Différent du numéro de série du cartel, je me suis demandé si cette réalisation ne pouvait être l’oeuvre d’un autre mécanicien. Je n’en ai aucune preuve mais le fait de trouver un mécanisme similaire chez un autre fabricant pourrait accréditer cette hypothèse.
Il faut distinguer deux mouvements différents qui sont produits distinctement :
le mouvement de la tête de l’automate qui va de gauche à droite et de haut en bas et lui donne vie.
C’est l’aspect simplement visuel recherché par Brémond.
le jeu musical de l’automate : il frappe l’un des six timbres regroupés en deux nids de trois. La rotation du corps sur trois positions distinctes permet à chacun des deux bras articulés de frapper le timbre face auquel il est positionné.
Il y a donc sept mouvements exécutés.
Comment fonctionnent-t-ils ?
3 – 1 Les mouvements de la tête
Le mouvement de la tête est guidé par un jeu de deux cames très astucieusement taillées et fixées contre la face extérieure de la roue de cylindre. Elles se présentent sous la forme d’une rondelle dont à la fois la tranche et le bord extérieur sont travaillés pour générer les deux mouvements.
Pour éviter le frottement du palpeur (1) contre la roue de cylindre (risque de bruits parasites et d’un freinage de la rotation) celui-ci est écarté, de la roue, de l’équivalent de +/- un demi millimètre. Cela m’a permis de voir que la rondelle est, elle aussi (du moins dans sa partie périphérique), légèrement écartée de la roue. Le palpeur suit donc la came sur toute son épaisseur (+/- 1 mm) sans toucher la roue de cylindre. Les deux mouvements produits doivent encore être transmis à la tête de l’automate.
Les deux photos suivantes, prises durant la restauration, montrent les éléments de transmission disposés sous la plaquette.
3-1-2 Le mouvement de gauche à droite de la tête :
3-1-2 Le mouvement de gauche à droite de la tête :
Au niveau du cou de l’automate, le tube et la tige sont aussi apparents.
La combinaison des deux mouvements générés permet de donner n’importe quelle position à la tête. A la fin de chaque air, celle-ci revient en position haute, le regard dirigé vers la gauche. Le cycle de la tête est identique, pour chaque air joué, il n’y a qu’une seule paire de cames inlassablement rejouées.
3 – 2 Le jeu musical de l’automate
Il résulte lui aussi de la combinaison de deux fonctions qui doivent être parfaitement coordonnées pour que l’accompagnement des timbres soit juste et donc musical. L’un est la rotation du corps de l’automate pour lui permettre de présenter l’un des bras face au timbre à frapper et l’autre est la frappe proprement dite du timbre.
Le cartel n’étant pas visible, une ‘facilité’ a été introduite par Brémond. Il a inversé la position du cartel par rapport à l’automate, il n’est pas dans la présentation clavier à l’avant et cylindre à l’arrière mais cylindre à l’avant et clavier à l’arrière. L’automate est donc positionné devant le cylindre, la transmission entre le picot du cylindre et la fonction de l’automate s’obtient par une commande intermédiaire unique et directe. (Le cartel vendu à Chartres, qui est lui dans une disposition de boîte à musique traditionnelle, a donc une transmission entre le picot et l’automate qui est obtenue par un relais plus long, vraisemblablement articulé et donc différent de notre cas puisque l’automate y est positionné à l’arrière du cylindre).
L’ensemble des picots qui guident ces deux fonctions sont concentrés au milieu du cylindre. Ces picots, identiques à ceux qui lèvent les lames, sont identifiables grâce aux cinq divisions plus larges visibles à la surface du cylindre. Les deux de gauche et celle à droite positionnent le corps de l’automate, les deux autres actionnent le bras gauche et le bras droit. Toutes les autres petites divisions de part et d’autre correspondent aux lames vibrantes.
Pour la fonction de rotation, les divisions sont plus larges parce qu’il faut tenir compte de la largueur nécessaire aux supports des palpeurs. Pour le mouvement des bras, Brémond a utilisé un petit clavier à lames beaucoup plus larges. Cependant le pas du limaçon étant, forcément, le même pour les lames vibrantes que pour les cinq fonctions de l’automate, on voit que seule la moitié droite des larges divisions est pointée (illustration, première photo en page suivante).
3-2-1 La rotation du corps de l’automate
Cette rotation a trois positions différentes, elle permet d’aligner le bras supportant le marteau par rapport à l’un des trois timbres qui lui est accessible et de le frapper ; l’amplitude latérale du mouvement au niveau du marteau est d’un centimètre. Les trois positions sont obtenues par les deux larges divisions de gauche et celle de droite sur le cylindre.
Comment fonctionne ce mouvement ?
Le système de retour en position médiane est ingénieux dans la mesure où, indépendant des deux autres mouvements, il permet un passage rapide et régulier à chacune des trois positions qui toutes sont susceptibles d’être utilisées pour la frappe d’un timbre.
3-2-2 La frappe des timbres
Elle est assurée par deux lignes de picots sur le cylindre. Le picot relève la lame qui par un jeu de trois tringles provoque la levée du bras qui retombe sous l’action de son propre poids quand le picot relâche la lame.
La disposition spatiale des éléments de la frappe des timbres est située de part et d’autre de l’axe central de l’automate. De cette manière le mouvement de rotation de corps qui n’a, à cet endroit, qu’une très faible amplitude ne perturbe quasi pas le mouvement de levée du bras et donc du marteau.
La rigueur dans le pointage de ces cinq lignes de picots est donc aussi importante que celle nécessaire pour la musique. Au bout de chaque air, l’automate reprend toujours la même position de repos. Il est important de ne jamais déplacer manuellement l’automate de sa position neutre de repos. En effet les bons timbres ne seraient pas joués à bon escient mais surtout cela induirait un forçage inadéquat sur le mécanisme qui ne trouverait plus la liberté de mouvement qu’elle est sensée induire.
4 Aspect sonore du cartel
L’agrément du cartel passe immanquablement par une bonne balance de son entre les airs joués par le cartel et le jeu de timbres. La présence d’ouïes de part et d’autre de l’automate n’a pas dû s’avérer suffisante pour obtenir la qualité sonore voulue par l’artisan. Aussi, a-til eu recours à la construction d’une caisse de résonnance placée sous l’instrument. Celle-ci donne un excellent et surprenant résultat, à la hauteur de la difficulté mécanique qu’a exigé cette construction.
Brémond n’a pas la notoriété et l’aura que certains autres fabricants de boîtes à musique ont obtenus.
Il n’a pas non plus été à l’initiative de brevets particuliers mais a toujours réalisé des fabrications de bonne, voire de très bonne qualité quand le commanditaire l’exigeait. Le cartel décrit dans cet article montre toute l’étendue de ses capacités à créer et à innover. Il est d’ailleurs le dernier grand fabricant à avoir été en activité à Genève.